Daphné Du Maurier – Rebecca
Sanka, t’es mort ?
Il serait légitime que tu te demandes si je suis décédée, pendant les fêtes, le visage dévoré par mon chat, Jean-Jacques (il va bien, il vous embrasse).
Tu vas rire (non), mais je suis revenue, et je vais écrire.
La folie.
Alors, sors l’ombrelle et les gants en dentelle, aujourd’hui je t’emmène à Manderley !
- Albin Michel
- 6,10€
- 1838
Rebecca est un livre curieux. Curieux dans mon parcours de lecture personnel. Je ne connaissais pas Daphné Du Maurier, je n’en avait jamais entendu parler.
Je l’ai reçu en cadeau et [SPOIL] je l’ai lu. Enfin je l’ai juste aspiré en quelques heures. C’était une époque (dit Lydie en regardant les flammes dans la cheminée et ses petits-enfants courir autour d’elle) où je prenais beaucoup le bus, je l’ai débuté sur un trajet, je l’ai terminé à la maison, sans arriver à décrocher (je n’ai pas beaucoup lutté non plus).
A partir du moment où j’ai découvert ce livre, j’ai entendu parler de Daphné du Maurier PAR-TOUT. En fait, tout le monde la connaissait, et personne ne m’en a jamais parlé (on n’est mal entouré, ma bonne dame).
Allez, je t’en parle un peu de ce livre, au lieu de te raconter mes trajets en bus.
« J’ai rêvé l’autre nuit que je retournais à Manderley. »
C’est la toute première phrase de l’ouvrage. Au même titre que « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » (Albert Camus – L’étranger) ou « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » (Un petit ouvrage pas très connu – La bible), cet incipit est célèbre. C’est un classique du genre, on pourrait tout à fait l’utiliser dans un cours de collège/lycée. L’incipit sert à créer un lien entre l’auteur et son lecteur (ou pas, ou presque, ça dépend évidemment, les incipit sont aussi divers que les littératures). Et c’est tout à fait le cas ici.
On nous parle d’un lieu « Manderley ». Houlala que c’est mystérieux (si, je pense ça quand je lis !)
Et on nous présente le « je », la narratrice, l’héroïne. Toute l’histoire va être racontée selon ses souvenirs, selon ses yeux et ses émotions. On ne va jamais connaître son prénom. Elle nous reste anonyme.
Mais elle est con ou quoi, te dis-tu impulsivement, c’est marqué sur la couverture, Rebecca !
Alors je t’arrête tout de suite dans ta trivialité (qui heurte un peu mes chastes oreilles, mais je ne t’en tiens pas rigueur, qui n’a pas été emporté par sa fougue littéraire ?), mais Rebecca ce n’est pas DU TOUT l’héroïne. Enfin du moins, pas l’héroïne qui raconte l’histoire (t’as vu comme j’introduis le suspens ?).
En fait, on ignore dans un premier temps à qui appartient ce prénom. On l’apprend quand l’histoire avance. Donc toi aussi, tu vas attendre.
La narratrice est une jeune fille de compagnie d’une grosse dondon désagréable, et elles séjournent dans un grand hôtel. C’est ici qu’elle va rencontrer Maximilien de Winter (t’as vu comment il claaaaque le nom. Ma-xi-mi-lien-de-Win-ter. Je suis déjà séduite personnellement. Vas-y Maxou, libére-moi, délivre-moi ! [t’as la réf ?! t’as la réf ?! Demande à ma nièce de 4 ans, elle va te donner un indice.][Deux articles, deux fois que je parle de ma nièce, tout le monde va se rendre compte que j’en suis pipou, faut que je me raisonne.]).
Alors oui, il y a une différence d’âge, et alors, HEIN, et alors ! On voit ça tout le temps (dans Confessions intimes).
Mais quid des « qu’en dira-t-on », une romance naît entre eux deux (j’aime tellement dire quid).
Bon là, on va être honnête, ça dérape très vite. Hop hop hop, en moins de temps qu’il en faut pour le dire v’la t’i pas qu’il l’épouse et l’embarque avec lui dans son manoir (Well, that escalated quickly).
« Nous allons nous marier, nous sommes très amoureux.
Amoureux. Il ne m’avait pas encore parlé d’amour. Pas le temps, sans doute. Tout cela avait été si précipité à la table du petit déjeuner. La confiture, le café et cette mandarine partagée. Non, il n’avait pas dit qu’il était amoureux. Seulement qu’il voulait m’épouser. Bref, précis, trés original. Les demandes originales valent beaucoup mieux. C’était plus authentique. Pas comme les autres.
Tu la sens la métaphore de la mandarine partagée ? (tu la sens ma grosse métaphore ?!)
Ah ben, ça, c’est sur, ça ne va pas être une histoire comme les autres, elle ne va pas être déçue la narratrice.
En fait, elle a déjà appris des petits éléments sur la vie de son Maxou. Par des commérages, elle sait qu’il habite un grand et somptueux manoir, Manderley.
Manderley incarne, pour le lecteur et pour l’héroïne, plus qu’une demeure, un style de vie. Aristocratique, raffiné, mondain, la haute société, l’élégance. Notre narratrice va d’ailleurs beaucoup craindre de ne pas être à la hauteur, de ne pas appartenir à la bonne condition sociale pour vivre à Manderley.
« Vous ne comprenez pas, dis-je, quand le garçon se fut éloigné. Je ne suis pas le genre de personne qu’on épouse.
– Que diable voulez-vous dire ? fit-il en me regardant et posant sa cuiller.
Je regardais une mouche s’installer sur la confiture, il la chassa d’un geste impatient.
– Je ne sais pas bien, dis-je avec lenteur. Je ne peux pas expliquer. D’abord, je ne fais pas partie de votre monde.
– Qu’est ce que c’est mon monde ?
– Eh bien… Manderley. Vous savez bien ce que je veux dire.
Il reprit sa cuiller et se servit de confiture.
– Vous êtes presque aussi ignorante que Mrs. Van Hopper, et aussi inintelligente. Que savez-vous de Manderley ? C’est à moi de juger si vous pouvez en faire partie ou non. »
Ambiance, ambiance…
Quand on sait que Mrs. Van Hopper c’est la grosse dondon à laquelle la narratrice sert de dame de compagnie, ça donne une belle image de Maxou.
Mais ce qu’il y a de bien (NON) avec l’héroïne c’est qu’elle ne s’en froisse pas plus de que ça.
Pourtant, c’est une personne qui se questionne sans cesse, sur tout. Qui doute, beaucoup. Qui intériorise bien trop.
D’ailleurs, c’est intéressant de se dire que plus elle vit à Manderley et plus elle intériorise. Comme si Manderley était une sorte de palais mental où elle s’enfermait, bien contre sa volonté, mais par dépit. Bref.
Puisque nous sommes dans sa tête, nous avons le détail de ses questionnements, et mon dieu ! Le lecteur (ok, JE) rêve de la prendre par les épaules, de lui faire un câlin (oui, dans un premier temps, on n’est pas des bêtes, elle traverse quand même des sacrées situations) et ensuite de la secouer. Mais bon sang, vas-y ! Rebelle-toi ! Tape du poing sur la table !
Flûte.
L’héroïne est agaçante, et en même temps, attachante, parce qu’elle développe un syndrome que beaucoup partagent, le syndrome de l’imposteur. Il s’agit de croire qu’on ne mérite la place où on se trouve (que ce soit dans une famille, dans un groupe d’amis, dans la société, dans son travail, dans ses études, etc.), qu’on est passé entre les mailles du filets, qu’on donne le change, mais qu’un jour tout va être démasqué et que tout le monde va voir qu’en fait, on ne devrait pas être là. Tu le sens le vécu là ?
Et on la comprend dans son syndrome de l’imposteur, parce qu’elle affronte, à son arrivée à Manderley, une entité avec laquelle elle ne peut pas lutter : la femme de Maxou, la première, celle qui s’est noyée quelques années auparavant. Et devine, comment elle s’appelle ? Bah non, pourquoi tu dis Dominique ? C’est Rebecca ! Tu ne suis pas.
Rebecca et Maxou, c’était une vraie légende vivante dans la société d’aristocrate de leur comté. Ils recevaient tout le temps à Manderley, les amis, la famille. De grands repas, de grandes fêtes. Rebecca était une femme sublime, sociale, extravertie, très bien élevée. Beaucoup de proches, une âme généreuse. Le fin du fin quoi. (non, pas Plantafin, arrête.)
Avec Maxou, ils étaient un vrai couple modèle. Ils étaient parfaits.
Mais Rebecca aimait faire du bateau, et elle s’est noyée un jour, alors qu’elle était sortie en mer agitée.
Et notre héroïne arrive après cette histoire. Elle, qui manque déjà de confiance en elle, va devoir vivre dans le « fantôme » de Rebecca. Elle vit avec les affaires de Rebecca, la décoration de Rebecca, les amis de Rebecca (qui la regardent d’un œil suspect ou PIRE amusé), et surtout la servante de Rebecca.
Voici l’un des personnages les plus angoissants qu’il m’ait été amené de lire : Mrs. Danvers. C’est donc l’ancienne domestique personnelle de Rebecca. Mrs. Danvers était plus qu’admirative de Rebecca, elle l’idolâtrait, et voit d’un très mauvais œil l’arrivé de la narratrice, n’ayant aucune pitié pour sa naïveté ou sa prudence.
Elle ne veut changer aucune habitude mise en place par Rebecca, même si cela ne convient pas à la nouvelle épouse.
Notre narratrice va se retrouver enfermée dans Manderley, comme si elle en était la captive. Elle se retrouve prise par les obligations, les protocoles, comme ces innombrables encas, petits repas, goûters, thés, etc. Elle a des heures entières destinées à rédiger des correspondances, comme le faisait Rebecca, sauf qu’elle ne connaît personne à qui envoyer des lettres.
Comble de l’ennui et du malheur de la narratrice, Maxou est tout à coup très distant. Les temps où il lui roucoulait autour et défonçait les portes (ok, j’exagère un peu…) pour proclamer à tout le monde qu’il allait épouser cette jeune femme innocente sont bien loin.
ATTENTION : à partir de cet instant, je vais raconter la fin de l’intrigue. Donc si tu ne veux pas être spoilé méchamment, je te conseille de te rendre tout à fin de l’article, jusqu’à ce que tu vois ce marqueur :
FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL
Notre héroïne déprime plus ou moins sévèrement tout de même, et on l’a comprend. Mrs. Danvers prend plaisir à lui glisser des phrases pour la faire douter sur sa légitimité dans son mariage et dans son rôle de Mrs. de Winter. Elle essaye même de la pousser au suicide, avec un petit coup de pouce, en sautant de la fenêtre. Au dernier moment, la narratrice reprend ses esprits.
Mais tout à coup un bateau est retrouvé échoué sur la plage (près de Manderley). Un corps se trouve à l’intérieur. Manifestement, il s’agit de Rebecca SAUF QUE : lorsque Rebecca a disparu, on a retrouvé un corps, plusieurs jours plus tard. Maxou a été l’identifier, et il a été formel, c’était bien son épouse. SAUF QUE, s’il a identifié son épouse, alors qui se trouve dans la cabine du bateau de Rebecca qu’on vient de retrouver échoué. HIN HIN !
Et là, il craque le Maxou ! Il lui avoue tout : Rebecca n’était pas du tout la femme que tout le monde pense. Elle menait une vie de débauche, était une perverse manipulatrice. Si Maxou l’avait aimé fougueusement les premiers temps, il avait vite changé d’avis quand il avait découvert sa vraie personnalité.
Alors qu’elle le fait chanter une fois de plus, au bout du rouleau, le Maxou, il tue Rebecca. BOUM. Elle est morte. Il coince le corps dans le bateau et l’envoi au fond de l’océan, en espérant qu’on ne retrouve jamais le bateau, puisqu’on y découvrirait les traces de sabotage.
Donc le bateau a été retrouvé, et tous les regards se tournent vers le Maxou, y compris ceux de la police.
Cette révélation a permis à la nouvelle Mrs. de Winter de comprendre la distance de son mari avec elle, mais aussi de voir qu’elle n’usurpe aucune place, puisque finalement Rebecca n’existait pas vraiment, ce n’était qu’une comédie destinée à charmer tout le monde. Et attends, c’est pas tout ! On apprend aussi que cette saloperie désagréable de Mrs. Danvers était au courant de TOUT, et soutenait avec complicité sa Mme Rebecca.
La narratrice prend une soudaine confiance en elle, et va épauler avec maturité et fermeté son mari dans un court procès, qui va l’innocenter. Et ça, c’est badasse.
Seul petit, et dernier, problème : le cousin de Rebecca. Un séducteur, dandy, playboy, LOURDEAU, qui aura presque fait du rentre-dedans (oui oui, comme dans les Sims) à la pauvre narratrice qui ne savait plus où se mettre, émet de sérieux doutes quant à l’innocence de Maxou. Et pour cause, il était très trés trés trés trés (ok, il couchait avec) sa cousine Rebecca. Glauque hein. Et ça, Maxou le savait. Donc autant te dire qu’il l’aimait pas trop.
Mais le cousin est vraiment chiant tenace et mène une enquête, qui va tous les mener (y compris les policiers) chez un médecin. Rebecca s’y était rendue, sous un faux-nom, quelques temps avant sa mort. Le doc’ leur révèle qu’elle avait découvert qu’elle était malade : un cancer, sans guérison, et qui allait l’emporter rapidement.
Les policiers aboutissent à la conclusion : suicide. L’affaire est classée.
Maxou et la nouvelle Mrs. de Winter peuvent donc rentrer chez eux, enfin, pour y couler des jours heureux.
Hélas, quand ils arrivent au manoir, ils se rendent compte que Mrs. Danvers a mis le feu à Manderley, préférant voir brûler la bâtisse plutôt que de voir une autre femme que Rebecca y vivre.
« C’est en hiver qu’on voit l’aurore boréale, n’est-ce pas ? dis-je. Pas en été ?
– Ce n’est pas l’aurore boréale, dit-il. C’est Manderley.Je le regardai et vis son visage. Je vis ses yeux.
– Maxim, dis-je. Maxim, qu’y a-t-il ?Il conduisait de plus en plus vite. Nous gravîmes la colline devant nous et vîmes Lanyon étendue dans un creux à nos pieds. A notre gauche, le fil argenté de la riviére s’élargissait vers l’estuaire de Kerrith à dix kilomètres de là. La route de Manderley était devant nous. Il n’y avait pas de lune. Le ciel au-dessus de nos têtes était d’un noir d’encre. Mais le ciel à l’horizon n’était pas noir du tout. Il était éclaboussé de pourpre, comme taché de sang. Et des cendres volaient à notre rencontre avec le vent salé de la mer. »
FIN. Ce passage termine le roman.
FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL – FIN SPOIL
Alors, est-ce c’était bien ? Oui !
On aime tout : l’ambiance glauque, oppressante, presque gothique. On a l’impression de sentir les lourds rideaux de Manderley, les belles fleurs du jardin, l’obscurité des couloirs, la présence de Rebecca, le harcèlement de Mrs. Danvers.
On partage les questionnements de la narratrice, ses craintes et son ennui.
On en vient à détester Maxou le silencieux et tous les autres qui méprisent une jeune femme qui fait ses premiers pas dans le « beau monde ».
Au fond, beaucoup ont été confronté à ce type de situation : le syndrome de l’imposteur, un manque de soutien, d’être rassuré, mais aussi faire ses premiers pas dans le monde des adultes.
L’héroïne est aussi agaçante qu’attachante, on l’aime, elle nous saoule, mais on veut l’accompagner jusqu’au bout de l’aventure et quand elle ose montrer, un tout petit peu, de mécontentement face aux gens de la maison, on a envie de l’applaudir, de lui dire d’y aller, plus fort, de les foutre dehors !
Le petit plus :
L’histoire a été adaptée au cinéma, en 1940, par Hitchcock (un petit qui débute). On y trouve une interprétation superbe de Mrs. Danvers par Judith Anderson, comme on peut le voir sur la photo en dessous, où elle n’est pas du tout flippante dans le dos de la narratrice, interprétée par Joan Fontaine.